notes critique: Imposer le regard masculin

lu et recopié

AlainKeler21042016

 

On ne trouvera pas de plus belle illustration du caractère dominateur du male gaze (“regard masculin”, concept féministe qui décrit l’oppression patriarcale produite par l’imposition d’un modèle visuel). Le photoreporter Alain Keler a publié le 21 avril sur son blog et sur sa page Facebook un billet dénonçant le « fascisme » des réunions non-mixtes à #NuitDebout, assorti d’une photographie d’une réunion de femmes barré en son milieu par une banderole indiquant « Pas de photos SVP ».

Le principe des réunions non-mixtes peut choquer du point de vue de l’application stricte de l’égalité démocratique. Mais dans une société qui n’est pas réellement égalitaire, ce système est précisément destiné à restituer un sentiment de sécurité aux participantes, pour leur permettre de s’exprimer librement dans un contexte patriarcal, où les hommes se sentent agressés par la seule évocation du sexisme (voir mon billet “Le camp des crocodiles” et ses commentaires).

Ignorant tout de ces affaires de filles, Alain Keler les insulte copieusement au nom de la liberté d’informer, et procède aux amalgames de rigueur («Après avoir expulsé manu militari le philosophe Alain Finkelkraut, c’est un nouveau faux pas pour des militants de la nuit debout. On tente de couper des têtes, comme Robespierre, qui a fini par perdre la sienne»), offrant ainsi un magnifique exemple du regard comme instrument de pouvoir, et une caricature de la domination patriarcale. Faire taire ou imposer le regard masculin, même combat.

Un autre photographe, Meyer, de Tendance Floue, lui a répondu, également sur Facebook, expliquant la colère suscitée par l’outrance, et montrant qu’il existe heureusement des professionnels mieux informés des enjeux de la société d’aujourd’hui. Parmi ceux-ci, il devient de plus en plus évident que la convocation des principes républicains (voir notamment l’éditorial de Laurent Joffrin courant au secours de Finkielkraut ) ne sert plus que d’instrument de rappel à l’ordre des dominés.